27 avril 2013

ALLEN IVERSON, LA VIE SANS LE BASKET par Kent Babb


Allen Iverson a toujours cristallisé l’attention. Bien qu’il n’ait plus foulé un parquet NBA depuis plus de trois ans, on évoque toujours son retour, comme si on refusait d’accepter que The Answer ne reviendra plus. Lui-même est dans cette situation de déni, et ce sont ces trois dernières années de lutte contre lui-même que relate Kent Babb, du Washington Post, dans un reportage auprès de ceux qui l’ont côtoyé, appuyé par les comptes-rendus d’audience du divorce d’AI. Au final, on y trouve un portrait très sombre et à la fois très émouvant d’un homme qui ne sait faire qu’une seule chose : jouer au Basket.
Lucas (True NBA)

ALLEN IVERSON, LA VIE SANS LE BASKET

Par Kent Babb

(Allen Iverson, NBA Icon, struggles with life after Basketball)


Philadelphie, moins d’une heure avant le début du match, prévu à 20 heures, et les employés des 76ers arpentent toujours les couloirs du Wells Fargo Center, espérant que ce samedi soir se déroule comme prévu.

Nous sommes à la fin du mois de mars, et l’équipe distribue au public des figurines bobblehead d’Allen Iverson. En fait, c’est Iverson lui-même qu’on attend, évènement assez rare puisque l’ancienne star de la NBA ne se montre que rarement en public. Il doit faire son entrée au cours d’une rapide cérémonie d’avant-match, puis rejoindre la loge d’Adam Aron, co-propriétaire des Sixers, pour regarder la rencontre en sa compagnie. Mais AI n’est toujours pas là, et la rumeur se propage au sein de la salle : Iverson a raté son avion.

« Il sera à l’heure, tente de se rassurer Aron. C’est tout ce qui compte. »

Trois ans après son dernier match NBA, ce ne sont plus les dribbles d’Iverson qui sont sous le feu des projecteurs, mais bien ses défauts. A l’époque, son refus de se conformer aux normes sociétales faisait partie intégrante du personnage et de son image de marque, tout comme ses tresses et ses tatouages.

Sa légende entière fût brodée autour de cette image. Il arrivait aux entraînements avec la gueule de bois. Quand il esquivait ses devoirs de joueur ou qu’il refusait de se conformer au Dress Code, il renvoyait l’image d’un homme qu’il était impossible de soumettre. Et il mettait un point d’honneur à dominer soir après soir quiconque se dresserait sur le chemin entre lui et le panier. Il l’a toujours fait, que ce soit en NBA ou à Georgetown, du haut de son mètre quatre-vingt trois et de ses soixante-quinze kilos. Si un homme, quelle que soit sa taille, fait preuve d’assez de détermination, il pourra prendre le meilleur sur les géants qu’on lui opposera.

Mais Iverson n’est plus un joueur de Basket. C’est une chose que tout le monde a fini par accepter à part lui, et une question tourmente ses proches depuis bien longtemps déjà : que se passe-t-il quand la plus grande facette de l’identité d’un homme, la voûte qui supporte le poids de ses doutes, cède ?

Au cours des trois dernières années, pendant qu’Iverson tentait de retrouver les parquets NBA, son mariage s’est effondré et sa fortune (il a gagné plus de 150 millions de dollars rien qu’en salaires) s’est désagrégée. Ceux qui ont un temps ignoré les signes avant-coureurs de la catastrophe sont à présent contraints de réaliser que le Basket était sans doute le ciment qui empêchait la vie d’Iverson de s’effondrer.

« Il a déjà touché le fond, c’est simplement qu’il n’est pas encore prêt à l’accepter » constate Roshown McLeod, son ancien coéquipier à Philadelphie.

Alors qu’il ne reste que quelques minutes avant vingt heures, un Chevrolet Suburban de couleur noire fait son entrée sur le parking des joueurs. A 19h59, la portière passager s’ouvre, et descend Iverson, vociférant des insanités. Puis il se rend compte de la présence d’Aron, qui le prend alors dans ses bras. Ensemble, et menés par la voix d’un Iverson qui ne décolère pas, ils prennent la direction de l’entrée de la salle, pour une soirée de plus sous les projecteurs.

« Dieu lui a donné ce don, tout en sachant qu’un jour, il viendrait le lui reprendre » analyse Pat Groce, qui avait utilisé son premier choix lors de la draft 1996 pour sélectionner celui qu’on appelait pas encore The Answer.

« Je m’inquiète pour lui »

Au cours de l’année 2012, Iverson se rendit au tribunal d’Atlanta, pour statuer sur son divorce, séance au cours de laquelle il retourna ses poches vides devant l’assistance, s’adressant à sa désormais ex-femme Tawanna : « Je n’ai même plus de quoi me payer un cheeseburger ! » Tawanna sortit alors 61 dollars de sa poche, qu’elle lui tendit.

La scène avait mis à nu un côté bien plus sombre d’un homme qui avait en son temps enchanté les foules, et brisé les barrières établies jusqu’à devenir l’une des plus grandes stars de la NBA. Il avait toujours fait les choses à sa manière, à son rythme, restant honnête avec lui-même lorsqu’il s’adressait à la presse, au mépris de l’ordre établi dans le monde du sport professionnel. Le public entretenait une certaine proximité avec Iverson, qui avait su s’imposer malgré un évident désavantage physique et un passé chargé d’erreurs, comme une condamnation pour son implication dans une émeute alors qu’il n’avait que 18 ans.

« Il a su donner de l’espoir a tous ceux qui se sentaient petits » se souvient Aaron McKie, assistant coach aux Sixers et ancien coéquipier d’Iverson.

Mais les années ont passé, et tout le monde a eu vent des problèmes familiaux d’AI ainsi que de sa récente faillite. Croce avait tenté de l’appeler il y a un an, mais fut finalement contraint de lui laisser un message par l’intermédiaire de Gary Moore, ami de longue date d’Iverson et l’un de ses conseillers financiers. Il n’y eut pas de suite.

« Je veux juste le voir, s’inquiète Croce. Je ne sais même pas à quoi il ressemble aujourd’hui. »

Larry Brown, qui avait coaché Iverson à Philly, l’a appelé de nombreuses fois ces derniers mois, lui proposant de venir passer quelques jours à Dallas, où il entraîne aujourd’hui Southern Methodist University en compagnie de deux anciens coéquipiers d’Iverson, Eric Snow et George Lynch. Brown pense qu’il serait bénéfique à son ancien joueur de retrouver un environnement fait de Basketball et d’amis pour qui il compte toujours, mais Iverson n’est pas venu.

« Je m’inquiète pour lui, avoue Brown. Je m’inquiète beaucoup pour lui. »

McKie et les autres lui ont envoyé de nombreux textos. De temps en temps, il répond, après plusieurs jours ou plusieurs semaines. La plupart du temps, il ne répond pas. Il prend sur lui, se coupe du monde, et refuse les interviews. L’an dernier, sa fille aînée, Tiaura, a demandé à vivre avec son père à l’issue de la procédure de divorce. Elle s’inquiète de le voir si seul.

« Je n’aime pas la tournure que prennent les choses », s’inquiète à son tour Larry Brown.

Beaucoup ont tenté de contacter AI au sujet de cette histoire, mais sans succès. Moore affirme même que certaines personnes ont conseillé à Iverson d’éviter de faire trop de bruit. Pourtant, les 600 pages de comptes-rendus d’audience et de procès verbaux relatifs à sa procédure de divorce laissent plutôt suggérer que les écarts de conduite d’AI au cours de sa carrière n’étaient non pas révélateurs de son caractère, mais plutôt des appels à l’aide.

« Pour connaître le succès qu’il a connu, il a du être déterminé, avoir une mentalité de survivant et cette voix dans sa tête pour lui dire ‘Fais le à ta façon, Allen’, observe Lynch. C’est probablement ce qui a entraîné sa chute. »

« Il ne pensait pas au lendemain »

Quand Iverson était à son apogée, ses coéquipiers ont accepté son style et ses absences à l’entraînement. Sa réponse à une question qu’un journaliste lui posait par rapport à ces dites absence est devenue culte : « We’re talking about practice ».

Tant que son jeu était affûté –il fut nommé MVP en 2001 et a remporté quatre titres de meilleur marqueur- ils ne se souciaient pas du reste.

Le Basket était un sanctuaire pour Iverson, et il lui permit même de signer d’énormes contrats : 70.9 millions sur 6 ans en 1999, et quatre ans plus tard une extension pour 76.7 millions. Il a également signé un autre contrat tout aussi imposant avec Reebok, incluant notamment un virement différé de plus de 30 millions, qu’il ne pourra toucher avant ses 55 ans.

Son niveau de jeu lui a permis de tenir ses défauts éloignés des projecteurs, mais chez lui, son comportement était une source intarissable d’inquiétude pour ses proches. Tawanna certifie que son mari n’était pas quelqu’un sur qui l’on pouvait compter, du fait de son instabilité. L’alcool n’arrangeait pas les choses, raconta-t-elle au tribunal, puisqu’il pouvait arriver ivre aux anniversaires, voire les oublier.

Il était absent lors de la naissance de Tiaura en 1994, et trois en plus tard, quand Allen Jr –qu’ils appelleront Deuce- naquit à son tour, Iverson était « complètement saoul » et incapable de conduire sa femme jusqu’à l’hôpital, indiqua Tawanna lors de l’audience.

Il a toujours assisté financièrement les membres de sa famille, et ne disait jamais non quand on lui demandait de l’argent. McLeod, qui sortait de temps en temps avec Iverson et son entourage, raconte que son coéquipier payait toujours chaque tournée, peu importe le montant. « Il n’a jamais rien refusé à personne, se rappelle Larry Brown. Il était là pour aider tout le monde. Il ne pensait pas au lendemain. »

En 2006, Iverson entra en conflit avec les Sixers, poussant ces derniers à retirer toutes les photographies de leur joueur des murs du Wells Fargo Center, avant de l’envoyer aux Nuggets, qui l’enverraient à leur tour à Detroit. Lorsqu’il devint free agent en 2009, peu d’équipes étaient prêtes à l’embaucher.

Moore raconte qu’il a alors demandé à Iverson de réfléchir à ce que serait sa vie après le Basket. En novembre 2009, AI disputa trois matches avec les Grizzlies avant d’être libéré de son contrat, puis il fut repris par les Sixers pour 25 matches. Lors de son dernier match, le 20 février 2010, il marquait 13 points au cours d’une défait de 32 points face aux Bulls. Sa carrière s’est terminée sans sommation, sans même un clap de fin. Selon George Karl qui fut son coach à Denver, « il a cherché le dernier chapitre de sa carrière, mais celui-ci n’a en fait jamais été écrit. »

« Ils ne veulent plus de toi »

Iverson a pourtant continué à vivre comme si un nouveau contrat allait tomber, et Tawanna a du lutter pour mettre un frein à ses dépenses. Selon un relevé bancaire étudié lors du divorce, le compte du couple affichait un déficit de plus de 23 000 dollars en juillet 2011. 23 255 dollars avaient même été dépensés au cours d’un seul et même jour, au profit d’un bijoutier, d’un chapelier, d’un restaurant et d’un hôtel.

Tawanna affirme que les chèques pour le loyer et l’électricité ont été refusés à la fin de ce même mois. Elle a alors été contrainte de vendre ses bijoux ainsi que la voiture de sa fille pour couvrir les frais de rentrée scolaire de ses enfants.

Elle ajoute avoir du vendre d’autre bijoux à un prêteur sur gages pour réduire leur dette avant que leur maison à Denver ne soit saisie. Iverson devait des milliers de dollars à un entrepreneur qu’il avait engagé en Géorgie, faisait face à des arriérés d’impôts impayés, et ses derniers salaires avaient eux aussi été saisis pour rembourser un crédit de 860 000 dollars chez un bijoutier.

L’image qu’avait renvoyé Iverson pendant des années était celle d’un bad boy seulement soumis aux besoins d’une famille qui ne cessait de grandir. En réalité, Iverson était un père et un mari absent.

Tawanna raconte également qu’en 2009, lors de vacances en famille à Orlando, Iverson passait ses soirées avec un ami tandis que sa famille devait refaire un programme sans lui. Le jour où ils étaient censés prendre l’avion du retour, Iverson était ivre mort, allongé à l’arrière d’un van. Tawanna a alors installé leurs enfants devant un film et veillé son mari pendant des heures, paniquée à l’idée que le conducteur pourrait prendre des photos d’AI si jamais elle le laissait sans surveillance.

De la même façon, elle assure qu’Iverson avait laissé ses enfants seuls dans une chambre d’hôtel au cours d’un weekend au parc aquatique. Tawanna avait du venir les chercher à deux heures du matin, trouvant ainsi l’un d’eux encore en maillot alors que son père n’avait toujours pas donné signe de vie. « J’ai toujours pensé que mes enfants avait besoin de leur père, déclara-t-elle au juge. Mais ce que j’ai appris, c’est qu’ils n’ont pas besoin de lui à partir du moment où il commence à détruire leur vie. »

Iverson a continué à attendre un coup de fil d’une franchise NBA. En août dernier, son fils Deuce, aujourd’hui âgé de 15 ans, a été inscrit dans un collège de Pennsylvanie où les familles étaient invitées à des séances de thérapie de groupe. Tawanna assure que son mari a manqué la majorité des séances, notamment un déjeuner en tête-à-tête avec son fils. Au cours d’une des réunions où il était présent, le conférencier parlait de la réussite, et de la façon dont Donald Trump avait su saisir sa chance.

Iverson le coupa, arguant que lui avait été cet homme à avoir obtenu la réussite, l’argent et la gloire. Puis il dit une chose que Tawanna n’oublierait pas.

« Qu’est ce que tu es censé faire ? Qu’est ce que tu es censé faire quand tu sais qu’ils ne veulent plus de toi ? »

« Il mérite une plus belle fin »

En février 2012, Moore envoya à Tawanna un email ayant pour objet « Projet pour un retour d’Iverson ».

Iverson avait joué en Turquie, et brièvement avec une équipe chinoise, mais il était toujours persuadé que sa place était en NBA. Une des recommandations de Moore sortait du lot : « Arrêter de boire ! » Il avait également inclus un article de presse sur la façon de choisir un thérapeute. Un autre des ses emails suggérerait plus tard à Iverson de prendre part aux réunions des alcooliques anonymes.

Moore prit contact avec des équipes en NBA, mais elles n’y prêtèrent que peu d’attention. Pendant ce temps, Tawanna avait entamé la procédure de divorce, et elle et AI passèrent la plus grande partie de l’été devant le juge. Ils avaient été ensemble depuis l’âge de 13 ans, du bal de fin d’année au jugement, en passant par de nombreuses épreuves.

« Je t’aime, lui écrivait Iverson dans un SMS qui fut présenté au juge. Ton joli visage me manque, et je suis désolé. Les gens font parfois des erreurs ! »

Mais lui en faisait toujours. Lors de sa rencontre avec l’officier chargé d’aborder avec lui la question de la garde des enfants, il « sentait fortement l’alcool » selon le rapport de son interlocuteur. Plusieurs mois plus tard, lors d’un contrôle d’alcoolémie qui avait été planifié avec lui, il se présenta à nouveau avec de l’alcool dans le sang.

Au cours de l’audience, Iverson n’a pas été entendu à la barre, il n’a pas non plus contesté les affirmations de sa femme. Sa déposition a été scellée contrairement à celle de Tawanna. Cette dernière a obtenu seule la garde des enfants, présentant Iverson comme un « obstacle » à leur éducation. Il fit appel de cette décision, mais celui-ci a été rejeté le mois dernier.

Iverson déclarerait plus tard à Moore que le tribunal était partial, et son verdict inéquitable.

Un proche d’Iverson, sous couvert d’anonymat, affirme que la moitié des fonds que Reebok doit encore verser à AI ont été attribués à Tawanna lors de la séparation des biens. L’avocat de Tawanna, John Mayoue, a refusé de commenter ces propos tout comme sa cliente.

Malgré tout, Moore affirme qu’Iverson aime ses enfants « plus que sa propre vie », et qu’il éprouve encore des sentiments pour Tawanna.

Après que le divorce ait été proclamé en janvier dernier, Moore a relancé sa campagne auprès des équipes NBA. Iverson refusera une offre de l’équipe de D-League des Mavericks, déclarant sur Twitter que « cette route n’est pas faite pour lui ».

Moore a alors pris contact avec Tim Grover, le préparateur physique de Michael Jordan et Kobe Bryant. Grover a ensuite discuté avec Iverson, et les deux hommes ont convenu d’un programme de remise en forme « juste pour remettre les muscles en route », selon Grover. Fin mars, Grover revint sur leur accord, annonçant à Moore qu’il n’avait finalement pas assez de temps à consacrer à Iverson.

Et puis voilà. Plus rien.

Les semaines suivantes, Larry Brown a appelé Iverson. On lui pose souvent des questions à propos de son ancien joueur et quand il est en déplacement sur d’autres campus, il voit toujours des jeunes avec des tresses et une manche sur l’un des bras, témoignage de l’influence de The Answer. « Il mérite une plus belle fin que ça », reconnaît Brown.

« We talking about love »

Le mois dernier, l’ancien coach de Georgetown John Thompson Jr reçut une question à propos d’Iverson. Il se préparait pour une émission de radio avant un match du tournoi NCAA au Verizon Center de Washington. « Ce que je pense d’Allen Iverson est inscrit au plus profond de mon cœur », répondit-il.

Thompson, celui qui a pris le risque d’offrir une bourse d’études à AI après l’émeute du bowling, a toujours protégé Iverson et refuse les interviews à son sujet. En revanche, il proposa de contacter Lorry Michel, qui a entraîné les Hoyas pendant de longues années.

Décrochant le téléphone de son bureau, elle répondit qu’elle ne donnait pas d’interviews. Mais pour Iverson, elle ferait une exception.

« Vous traversez la vie, explique-t-elle, et vous rencontrez des gens. Certains d’entre eux vous intriguent davantage, enfin je ne sais pas vraiment. Ou alors, c’est simplement le fait qu’ils vous traitent différemment. »

Lorry Michel avait été opérée d’une tumeur au cerveau en juin 2011. Parmi les mails et les cartes postales qu’elle avait reçus se trouvait un mot d’Iverson. Ce ne serait sans doute pas le dernier. Selon elle, il se rappelle toujours des gens, et de leur parcours, car le sien est si singulier qu’il aime observer la manière dont les autres atteignent leur but. « Il regarde les gens comme ce qu’ils sont. »

Plus tôt au cours de l’année, elle avait appelé Iverson. Elle avait entendu parler de son divorce et voulait savoir comment il allait. Bien, lui répondit-il, et elle choisit alors de le croire.

Peu de temps avant que Lorry Michel ne fasse son entrée au Hall of Fame de Georgetown, Iverson demanda à ce qu’on le filme, et qu’on lui demande de parler d’entraînement. La séquence, bien qu’un peu floue, serait envoyée à Washington pour être montrée durant la cérémonie.

Iverson se tenait debout à un pupitre, la casquette de travers, rejouant son fameux discours.

« We talking about love. On ne parle pas de coach Thompson. Pas du plus insupportable arrière à avoir jamais joué à Georgetown. Pas d’Alonzo Mourning. Pas de Patrick Ewing. Pas de Dikembe Mutombo. »

« Je suis censé être là pour parler de Georgetown. Mais on parle d’amour. On parle d’amour ? Miss Michel ? Oui, on parle d’amour. » Il marqua une pose.

« Je vous aime. Vous me manquez. Vous avez mes félicitations les plus sincères. Je vous aime. Je n’arrive pas à exprimer avec les mots à quel point je vous aime. »

« La vérité a toujours des conséquences »

Revenons à cette soirée de la fin du mois de mars. Aron, le co-propriétaire des Sixers, accompagne Iverson dans l’entrée des joueurs, à travers les vestiaires de Philly, puis enfin dans le tunnel.

A 20 heures piles, les lumières diminuent, puis la salle se réveille au rythme des effets pyrotechniques. La voix du présentateur retentit alors dans les enceintes de la salle : « A six-foot guard from Georgetown… », en prenant bien soin de faire durer chaque syllabe. La foule explose.

Iverson est là. Au milieu du terrain, coiffé d’une casquette des Philadelphia Phillies, le regard dissimulé derrière des lunettes de soleil. Il sourit, s’imprègne de l’ambiance, la main ouverte à côté de son oreille, comme il l’a si souvent fait dans cette salle.

Jamais Iverson ne vivra quelque chose s’apparentant autant à un retour en NBA. Les trois dernières années de sa vie ont été un véritable chaos, et qui sait ce qui l’attend, tandis qu’il s’éloigne toujours plus de sa carrière de basketteur –jusqu’en juin 2030, quand il pourra toucher ce qu’il reste de l’argent de Reebok ?

Moore a supplié les Sixers d’embaucher Iverson comme consultant. Ses amis et anciens coéquipiers pensent qu’il devrait voyager pour raconter son histoire. Toute l’histoire, et pas seulement les highlights qui passent sur l’écran de la salle.

« Parfois, on ne veut pas accepter la vérité a toujours des conséquences, analyse Moore. Je ne pense pas qu’il ait jamais vraiment compris cette notion. Et peut-être n’a-t-il jamais vraiment accepté cela, parce qu’il n’a jamais vraiment eu besoin de le faire. »

Un peu plus tard dans la soirée, Iverson retourne dans les couloirs de la salle, le temps d’une courte interview avec Comcast, la chaîne de télévision locale. La journaliste lui demande comment va se passer la suite.

« Je la remets entre les mains de Dieu, répond Iverson d’une voix chevrotante. J’ai accompli beaucoup de choses en NBA, et si la route doit s’arrêter là, qu’elle s’arrête. »

Il poursuit, songeur, prenant soin de choisir les bons mots.

« Et je ne suis pas amer vis-à-vis de ça. Je n’ai pas de ressentiment particulier. Simplement, je comprends que Dieu m’a accompagné à travers beaucoup de choses en NBA. J’ai fait tant de choses que les gens pensaient au-dessus de mes forces… »

« Mais à un certain moment, on arrive à la fin. Et peu importe comment on y arrive, peu importe si c’est la retraite, une blessure, peu importe ; à un certain moment, on arrive à la fin. »

Puis il sourit.

« Cela dit, si on me donne l’occasion de rejouer, c’est une opportunité que je saisirait avec plaisir. »


2013, Kent Babb, Washington Post, tous droits réservés.

Pour aller plus loin :

L’article original de Kent Babb, Allen Iverson, NBA icon, struggles with life after Basketball, sur le site du Washington Post.

Picture me ballin’, portait que je lui consacrais en 2011 sur True NBA.

Only the Strong Survive: the Odyssey of Allen Iverson de Larry Platt, éditions Regan Books.

Une biographie qui dépeint assez bien l’univers familial et l’entourage d’Allen Iverson, bien qu’elle occulte de nombreux éléments à l’avantage du personnage. On y trouve notamment l’excellente métaphore « Tupac with a jumpshot ».

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