22 octobre 2013

Patrice Evra, the Pith and the Fury

Lucas
La récente interview de Patrice Evra dans Téléfoot aura au moins eu le mérite de permettre à feu le sacro-saint rendez vous dominical des amoureux du football de retrouver des audiences qu'il n'avait plus connues depuis longtemps. Comment? Pourquoi? Tout simplement en faisant monter la sauce autour des morceaux les plus inutiles de ladite interview au détriment de ses passages les plus intéressants, ce qui d'une certaine manière montre le point du capitaine de Manchester, si tant est qu'on ait envie de le voir.

Car Téléfoot n'en a que faire des analyses footballistiques d'Evra, et de manière générale n'en a que faire des analyses footballistiques, qui n'ont plus la part belle depuis longtemps dans l'émission, quand bien même elles auraient pu exister fut un temps. Téléfoot suit la ligne directrice commune aux médias foot majoritaires : faire son beurre autour de la détestation de l'Equipe de France, ce qui est facile à organiser quand on dicte la pensée dominante du spectatorat foot. Ainsi, l'Equipe, RMC, Canal+ et bien d'autres médias encore ont bien compris que bâtir sa ligne éditoriale sur la haine de cette équipe -et du footballeur en général- était sans doute le meilleur moyen de faire vendre. En dernière date, un sondage du Parisien s'exerçant à un numéro de French bashing tellement poussé qu'il serait presque difficile de le trouver dans les tabloïds de nos voisins britanniques, pourtant friands de l'exercice.

L'objectif de cette interview, donc, n'est pas de traiter le jeu de l'Equipe de France à travers l'oeil d'un de ses joueurs les plus expérimentés. Non, le but est de pouvoir avoir une interview avec Patrice Evra, dont on sait qu'il est depuis des années la cible préférée des détracteurs des Bleus, en plus d'être un personnage sanguin et orgueilleux, en espérant que celui-ci pète un plomb. De cette manière, on est certain que l'émission fera de l'audience, ce qui nous ramène une nouvelle fois au fonctionnement de la presse tabloïd outre-Manche, et à une nouvelle affirmation de ce nivellement de la presse française par le bas.

Pourquoi est-il possible d'affirmer que Téléfoot a délibérément saboté son interview de manière à en faire un produit choc pour que celui-ci se vende? Tout simplement parce que le journaliste en charge de l'interview, Frédéric Calenge (à confirmer) n'a de cesse de pousser Patrice Evra dans ses retranchements, en cherchant à le mettre mal à l'aise mais également en essayant de le faire charger d'autres personnes. Dès la première partie de l'entretien, les questions fusent : “Est-ce que ça vous agace?” “Est-ce que ça vous blesse?” “Avec Domenech, vous avez eu des problèmes? Lui il le dit en tout cas.”

Le journaliste cherche clairement à énerver son interlocuteur et à le pousser à attaquer ses détracteurs ou même ses anciens collègues. Néanmoins, Patrice Evra maintient son calme et répond aux questions en délivrant des réponses qui auraient mérité cent fois plus d'attention que son passage Hit'em'up à l'encontre des divers consultants qui l'accablent. Au bout d'une dizaine de minutes, le capitaine de Manchester sent que son interlocuteur n'en a rien à faire de son point de vue footballistique (ce qui, pour un journaliste foot, est un comble) et tombe allègrement dans le piège à peine dissimulé que ce dernier tentait vainement de lui tendre. “Vous voulez me faire parler? Je vais parler.”

Avant d'aborder la deuxième partie de l'entretien, penchons nous sur les réponses apportées par Evra aux premières questions qui lui ont été adressées. Il rappelle dans un premier temps que l'Equipe de France avait gagné en Italie avant de subir un coup de mou pendant les éliminatoires, et que c'est bien la preuve, tout comme le sont les récentes prestations, que cette équipe a “du talent et de la qualité”. Il faut juste “avoir faim et faire les sacrifices pour ses coéquipiers.” Evra assure que peu importe l'adversaire lors des barrages, son équipe sera capable de le battre, et qu'il faut cesser d'avoir ce complexe d'infériorité qu'on a trop souvent en France. “Vous avez vu les joueurs qu'il y a dans cette Equipe de France? Faut arrêter de faire la fine bouche.”

Evra est conscient des qualités de son équipe, il appelle ses supporters à cesser de penser que l'adversaire est supérieur. Evra parle en capitaine, en leader sûr de la force de ses coéquipiers et ce discours mérite d'être souligné car on ne l'entend que trop rarement. L'Equipe de France de Basket a longtemps souffert de se considérer inférieure à l'Espagne ou à d'autres nations, et on a loué Parker et Diaw pour avoir su trouver les mots qui ont permis de faire prendre conscience du niveau réel de leur équipe. Ces mots, ce sont les mêmes qu'Evra dévoile, mais qui finalement, passent inaperçus dans l'interview, car ce ne sont pas cette image que Téléfoot veut donner de l'arrière gauche des Bleus. Si Patrice Evra apparaît à l'écran comme un vrai capitaine, “un soldat de Didier Deschamps”, qui “pense d'abord à [son] équipe”, qui encourage ses coéquipiers à “faire des sacrifices” et à “mouiller ce maillot”, comment pourra-t-on le détester?

Car comme on l'a dit plus tôt, la détestation de Patrice Evra et avec lui de l'Equipe de France, c'est le fond de commerce de la presse foot dominante depuis la Coupe du Monde 2010 -un peu avant en réalité, mais on gardera ce point de départ chronologique. Ces médias continuent à remettre en avant ce triste é
pisode du foot français tout en se lamentant qu'on en entende toujours parler. Un double discours hypocrite et surtout mensonger qui est dénoncé par Evra dans la deuxième partie de l'interview, face à un Frédéric Calenge qui n'hésite pas à sortir de son cadre de journaliste pour livrer son avis personnel sur le sujet, sous couvert du fameux fantôme bourdieusien de l'opinion publique : “Ces gens estiment que tu n'as pas été à la hauteur, et surtout à Knysna, en tant que capitaine, t'as pas été à la hauteur de tes responsabilités, et que voilà!” lâche-t-il d'un ton aussi énervé qu'intimidé.

Patrice Evra ne se démonte pas, et, comprenant que ce que son interlocuteur annonce comme l'opinion des “gens” n'est autre que son propre avis, lui répond aussi sec “Arrêtez de dire 'les gens', parce que ce n'est pas vrai.” Tout comme il est facile de manipuler un sondage en orientant les questions, comme l'a récemment fait avec très peu de subtilité Le Parisien, il est facile de livrer son propre avis sous couvert de le présenter comme celui de l'opinion publique, et c'est ce que font les consultants que Patrice Evra dégomme à la machette. Bien qu'il le fasse de façon plus que maladroite -c'est d'ailleurs ce qui nuit à son message- le fond est là : Evra sait que la mauvaise image qui est la sienne et celle de l'Equipe de France est davantage dûe aux discours qu'en donnent les médias dominants (et donc les divers consultants écorchés) qu'au comportement réel des joueurs. Pourquoi? Parce que la façon dont sont présentées les choses par RMC, l'Equipe ou Pierre Ménès poussent l'auditeur, le lecteur ou le spectateur à prendre l'avis du consultant comme celui justement “des gens”, alors que ce n'est pas le cas.

Un personnage comme Pierre Ménès ou une radio comme RMC font leur beurre sur un ton qu'on qualifiera de beauf', ou de populaire, qui leur permet justement de présenter leur avis comme celui du peuple, “des gens”, de cette opinion publique qui n'est somme toute qu'un fantôme. En cela, tous ces médias et ces consultants mentent, tout comme Calenge ment lorsqu'il pose une question à Evra en affirmant que c'est l'avis “des gens” et non le sien. Et l'arrière gauche de Manchester de le pointer du doigt : “Faut qu'ils arrêtent de mentir à la France, qu'ils arrêtent de vendre du rêve.” Mais quand le sage montre la Lune, l'idiot regarde le doigt.

Lucas (@SwitchtoLK)


Note de l'auteur: Comme me l'a fait remarquer Stillballin, comprendre la référence du titre est capital à la compréhension de l'article. Le titre donc, fait écho à la une du Daily Mirror à la suite d'une interview télé des Sex Pistols. Ces derniers avaient copieusement insulté le présentateur, Bill Grundy, allant même jusqu'à lui cracher dessus. Le Daily Mirror titrait le lendemain "The Filth and the Fury", la crasse et la furie, scandalisé par le comportement des membres du groupe. Pourtant, derrière ces manières de voyou se cachait un message beaucoup plus important, et l'essence même du mouvement Punk.

De la même manière, Patrice Evra allume divers consultants et c'est ce qui a monopolisé l'attention même chez les médias les plus alternatifs. Ce qui est capital dans ses propos est pourtant au-delà de simples jeux de mots à l'encontre de consultants de RMC, mais la presse foot actuelle cherche avant tout le spectaculaire qui va faire vendre. Comme le disait Domenech en conférence de presse après un match manqué qui aurait pu signifier son licenciement, "il y a du monde aujourd'hui. Ah oui, c'est vrai. L'odeur du sang vous intéresse." Le monde médiatique du foot actuel préfère se focaliser sur les piques d'Evra à l'encontre de ses détracteurs et non aux passages les plus intéressants de son interview, et c'est justement ce que dénonce le capitaine de Manchester, le coeur du problème, que l'on traduira en anglais par "The Pith", qui se retrouve malheureusement noyé dans la furie verbale à laquelle on assiste après que le journaliste ait amené l'interview au triste dénouement qu'il souhaitait lui donner.

Ainsi, même à plusieurs décennies de décalage, on constate qu'il est toujours plus aisé de regarder le doigt que de regarder la Lune : il est plus simple et plus vendeur de se contenter de commenter la surface d'une interview que d'essayer d'y puiser les informations sous-jacentes, pourtant les plus intéressantes et même les plus capitales. C'est d'ailleurs ce en quoi consiste le travail d'un journaliste, et cette interview temoigne de sa triste et pas si lente descente vers les profondeurs les plus sales où se côtoient le Sun et le Nouveau Détective.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Pas d'accord.
Les bleus sont suffisants, n'ont pas de hargne.
Vu qu'on ne va dire "les gens", JE suis heureux de voir un SAKHO plein de fougue. Un bon joueur motivé a plus de valeur qu'un très bon atone.
Le seul point que JE défendrais c'est que l'on présente toujours les choses sous un seul angle. Difficile de se faire une opinion.
Cependant la vérité du terrain est toujours la bonne :
Jouez comme Vendredi et Vous passez pas un tour
Jouez comme Mardi et... qui sait...